Cette première journée de marche après la pause chez Manon, permet de retrouver des dénivelés. Même si on est encore loin de la montagne, on quitte la Marne et ses plateaux. En fin de journée, la descente me surprend, un trou caché par des feuilles dans le sentier, je mets le pieds dedans et sens tout de suite une violente douleur dans les lombaires. Ha merde, pas de chance. Je reprend tout de suite la marche, le prochain village est tout proche, ça va le faire. En bas de la descente, une rivière et une passerelle… On arrive dans la Meuse. Une voiture passe la passerelle, c’est bon on tente de la suivre. Honoré comprend, accélère, je me dis que c’est gagné. Mais au milieu on voit l’eau en dessous, il a peur et ne veut plus avancer. Impossible de faire demi-tour ! Bon on recommence, je sais ce qui lui fait peur, c’est vrai que les trous sont impressionnants, d’ailleurs si je n’avais pas vu la voiture passer devant nous, je pense que je n’aurais pas tenté la traversée. Mais il a déjà fait près de la moitié, on va retenter en suivant les poutres métalliques dans le sens de la longueur, il ne se focalisera ainsi plus sur les trous (en espérant toutefois qu’il ne se coince pas un pied dedans…). On prend un peu d’élan, j’entonne une chanson improbable pour lui (nous) donner du courage, et c’est parti au trot. Ça passe ! Alors là je suis abasourdi, ému, ébahi. Je pleure de joie et ne peux m’empêcher de penser à Anne et Victoire et de leur aide précieuse avec Pépita, Gribouille et Good, et aussi Charlotte qui nous avait fait passer la première passerelle à Guenrouët. Merci les filles d’avoir su donner confiance à Honoré qui grâce à vous s’est dépassé aujourd’hui en franchissant ce pont impressionnant. Nous arrivons enfin dans ce premier village Lorrain, Le Neufour, et suis accueilli par le maire, Christian, élu depuis 30 ans, également conseiller général… « Demain c’est dimanche, tu reste là et tu te reposes, Honoré a de l’espace et un correspondant de l’Est Républicain vient demain matin » annonce l’élu. Ok, ça me permettra de faire le point avec mon dos. Je suis invité à dîner chez Laurence, la soirée est agréable et conviviale.
Le lendemain repos, interview et balade digestive après le repas copieux du midi. J’y rencontre un descendant d’une famille de Couleuvre près de la forêt de Tronçais… Après le dîner je file me coucher, le dos semble aller bien, on verra demain. Après le café et des au revoir chaleureux avec l’édile, je te reprend mon chemin valonné.
La chasse au déchets n’a pas encore vraiment repris, ça viendra bien assez vite. Le midi je m’arrête pique-niquer près d’une jolie rivière. Un riverain me propose de venir boire le café. Sa femme vient de faire une brioche maison délicieuse. L’accent de l’Est commence à se faire entendre. Je suis dans la Meuse, en Lorraine depuis peu région Grand Est. Mais j’ai plutôt l’impression d’être en Lorraine. Les gens sont accueillants. Le petit village de Brocourt-en-Argonne est charmant.
Première ce matin depuis longtemps, je plie la tente sèche, pas de gelée. Partout je remarque des bourgeons, on vient de passer officiellement au printemps. Ça fait quatre saisons que je marche avec Honoré. Pas encore un an, mais on aura tenu l’hiver. Pour autant, je suis bien conscient qu’il ne faut pas crier victoire trop vite, j’ai encore le temps de prendre des gelées et peut-être même de la neige dans les Vosges. Je n’en suis pas loin, l’année dernière il y en avait fin mai… Fin mai j’espère être en Bourgogne… En attendant je poursuis mon chemin et reprend doucement le ramassage des déchets.
Ces derniers jours, je navigue entre plusieurs parcours de randonnées, le ramassage n’est pas significatif, il le sera plus en approchant de Nancy. Aujourd’hui on a traversé l’autoroute de l’Est, l’A4, puis la Voie Sacrée Nationale, qui rejoint plus au Nord la voie de la liberté. On est toujours au cœur des combats. Ici chaque famille a perdu au moins un proche. La proximité de la guerre en Ukraine fait peur par ici. C’est un sentiment étrange mais je sens que les habitants ne sont pas sereins avec l’actualité qui vient de l’Est. Ce soir je bivouac à Senoncourt-les-Maujouy près de l’Eglise.
En sortant du village, ça monte sévère, mais après la descente est douce et boisée. Tellement boisée d’ailleurs, que le chemin disparaît sous les branches déposées par les forestiers. Après quelques centaines de mètres en mode sanglier, je félicite Honoré qui a su se faufiler partout et enjamber des troncs assez gros. La chaleur s’impose, le t-shirt est de nouveau la tenue de voyage. Mais attention, le vent reste frais sur les hauteurs, c’est comme ça que j’ai attrapé un bon rhume. Mais ça fait tellement du bien… Le paysage vallonné est agréable mais les villages sont souvent dans les vallées et les réseaux y sont capricieux. Ce soir, bivouac dans une ferme à Mouilly.
Tôt le matin, vers 6h30, j’entends discuter à voix basse. J’ouvre la tente encore gelée et trouve le voisin en train de donner du pain à Honoré. « T’as l’impression qu’il a faim, qu’il est mal nourri ? Non ? Qui t’as autorisé à lui donner à manger ? Tu sais que le pain peut le tuer ? Non ? Ha ben alors pourquoi tu lui en donnes ? Mais c’est quoi ces imbéciles qui donnent à manger sans savoir si c’est bien pour l’animal ?  Bon je ne tarde pas, il faut qu’Honoré marche pour digérer le pain ! Je suis en colère ! Et la route va être longue, 15 kilomètres tout droit. Heureusement c’est dans la forêt et ça roule peu.
Aujourd’hui on passe devant le monument Alain Fournier. Je suis touché de passer ici. Nous croisons une classe de lycéens je pense. Les élèves nous ont applaudi pour notre initiative de ramassage de déchets et notre parcours. C’était émouvant. La journée a été fatiguante, bien qu’assez courte, les 219m de cumulés positifs piquent un peu les mollets et ce rhume n’arrange pas mes affaires. Ce soir Honoré semble aller bien, il était un peu lent dans les montées mais ça fait longtemps qu’on n’en a pas eu autant. Ce soir bivouac chez l’habitant à Hattonchâtel. Le personnage qui m’accueille n’est pas bavard, il ressemble un peu au grand-père d’Eidi. Mais j’ai un grand terrain pour Honoré avec suffisamment d’herbe, de l’eau et une prise de courant. J’oubliais un détail, je suis content de pouvoir à nouveau laver mon linge et le faire sécher avec le beau temps. Dans la chasse aux déchets, maintenant je cherche les bennes…