Virginie vient de bonne heure soigner ses chevaux et m’apporte un café chaud. Je ne pars pas très tôt de ce charmant petit village et dès la sortie, je rattrape à nouveau un canal, le canal du Centre. Progressivement le chemin s’élève, il y a de moins en moins de portion plates et les dénivelés de plus en plus importants. Soudain au loin j’aperçois comme un drôle de nuage, mais en y prêtant attention, il ne bouge pas. Je crois que c’est le Mont Blanc. Plus tard sur une hauteur au pied d’un château médiéval, une vue panoramique et son panneau indicatif confirme que c’est bien le Mont Blanc qui s’élève face à moi à l’horizon. Nous sommes à hauteur de Chalon-sur-Saône qu’on aperçoit au loin. La chaleur est écrasante et mise à part un ou deux petits chemins qu’il faut franchir façon sanglier car très peu utilisés, une grande partie de la journée se déroule dans les vignes ou sur des petites routes qui n’offrent malheureusement pas beaucoup d’ombre. Ce soir je trouve un bivouac chez des particuliers à Saint-Martin-sous-Montaigu. Le gazon est fraichement tondu et Honoré devra s’en contenter. Enfin il va quand même élaguer les noisetiers qui servent de haie. Placé au bord du chemin de Compostelle, le couple a l’habitude de voir des randonneurs demander à boire ou un bivouac.
Ce matin on part un peu plus tôt car la journée s’annonce vraiment très chaude et les dénivelés encore plus importants. Et puis ce sera une étape courte puisque je suis attendu chez Odile. Mais c’est d’abord François, un viticulteur voisin, qui vient m’accueillir et me propose d’installer ma tente et Honoré sur son terrain. François est un ancien militaire de l’armée de l’air qui a vécu une vie palpitante aux quatre coins du monde et qui est revenu aux sources, dans sa Bourgogne natale, pour finir sa carrière dans les vignes qui lui sont chères. Odile est une amie de Marie-Pierre et Marie-Annick, souvenez-vous, ce sont deux pèlerines que j’avais croisé sur le canal de Nantes à Brest. Nous avions discuté un moment alors qu’elles entamaient leur pèlerinage vers Compostelle. Depuis elles suivent nos aventures sur Facebook et elles m’avaient accompagné une demi-journée de marche en Normandie, d’où elles sont originaires. J’avais d’ailleurs été gâté. Odile vient me chercher chez François et prépare le dîner le temps que je prenne ma douche. Que ça fait du bien après une journée de grosse chaleur ! Odile est une fine cuisinière, passionnée par son terroir. Et en tant qu’ancienne viticultrice, elle sait mettre en valeur les produits locaux. J’ai droit à un délicieux bœuf bourguignon qu’elle avait préparé en avance, avec de la viande locale du boucher le plus proche, mijotée dans un vin on ne peut plus local puisque produit par son fils. Vin que je déguste en accompagnement du dîner. Et pour finir, de délicieux fromages de chèvre de la ferme d’à côté. J’ai vraiment été gâté et j’ai particulièrement apprécié cette soirée gastronomique. Je suis toujours au pays des vins de Bourgogne, après les côtes de Nuits, les côtes Chalonnaise, avant les côtes de Mâcon et les Beaujolais. Mais je suis aussi au pays du Charolais. L’Allier, d’où je suis parti, fait parti par extension du territoire d’élevage de Charolaises. Honoré et moi avons l’habitude d’en voir dans les champs autour de chez nous, ça nous rappelle un peu la maison mais c’est quand même plus vallonné ici. Ce soir je trouve un spot au bord du chemin de Compostelle, au pied d’une falaise et d’une grotte. La commune a mis à proximité un robinet qui permet au pèlerin de s’abreuver. L’endroit est calme il a vu reposante ce sera parfait pour cette nuit.
On repart à la fraiche pour cette journée encore lourde au niveau du thermomètre. On s’arrête dans une petite ville faire un complément de vivres. Soudain ce retour à la civilisation me rappelle à quel point les gens peuvent être stressés et tellement pressés par leurs vies, qu’ils ne font même pas attention à ce qui se passe autour d’eux. Pour ce soir, j’appelle une mairie pour trouver un bivouac et on m’accueille dans la cour de la mairie de Cortevaix. Le maire me confie les clés de la salle communale afin que je puisse avoir accès à l’eau potable et aux toilettes. Je pars assez tôt pour marcher le plus possible avant les grosses chaleurs annoncées. La journée est ponctuée de jolis paysages, de côtes et de descentes. Rapidement la chaleur est écrasante, les sentiers parfois étroits et caillouteux, Honoré n’est pas très à l’aise.
Finalement la chaleur a un point commun avec la pluie, avec ce temps j’ai pas du tout envie de ramasser des déchets. Heureusement je trouve quand même des bennes pour me débarrasser des suremballages des courses d’hier.
Je cherche à joindre la mairie de Jalogny pour trouver un bivouac mais je suis redirigé sur la mairie de Cluny. Bon pourquoi pas mais la secrétaire de mairie m’envoie vers l’Office de tourisme. Je lui explique que je cherche un bivouac pas un hôtel… Elle me donne le portable du chef technique qui ne répond pas, même après mes messages. Je rappelle la mairie qui me donne le portable de son adjoint, pareil… Je suis franchement déçu de ces communes qui veulent faire du chiffre à tout prix, en négligeant l’humain en réfléchissant Euro, rentabilité, investissement… A quoi bon, Cluny est déjà une ville touristique avec son abbaye et ses pèlerins, pourquoi vouloir péter plus haut qu’ils ont le cul ? Pour gagner plus d’argent et perdre en relation humaine ? C’est décidément un concept que j’ai du mal à comprendre. Mais avec la chaleur, le téléphone se met en sécurité, plus de GPS, plus d’internet, plus de téléphone. La batterie baisse à vue d’œil. Une pause s’impose et je m’arrête devant l’abbaye ou le tavernier me souhaite la bienvenue. Bonne idée, une petite bière locale sera parfaite. Il me propose une bière d’abbaye, une recette de l’abbesse Mac Hullot du couvent de Clunylingus (lisez à voix haute ). Après cette note poétique, je dois reprendre mon chemin pour trouver un bivouac. Finalement je trouve à Jalogny où je suis agréablement reçu par des particuliers. Le soir la voisine m’invite à venir cueillir des framboises qui feront mon dessert et mon petit déjeuner de demain.
Je me lève tôt pour partir à la fraîcheur, les températures ne cessent de grimper, et le parcours aussi grimpe de plus en plus. Mais il offre des points de vues remarquables, c’est un vrai bonheur. Honoré, comme moi, a hâte de faire une pause. Mais si j’ai probablement pressé le pas, lui ralenti. Il ralenti tellement qu’il tire sur la longe en permanence, parfois même par à coups si violents que j’en tombe à la renverse. Et avec la frontale anti-mouche, le licol n’est plus aussi ample au niveau des oreilles, il s’est blessé. Rien de bien profond, mais ça doit être douloureux. Pourtant il continue de tirer. Vivement la pause ! Ce soir j’ai plus de chance, la mairie de Tramayes me rappelle, le second adjoint me propose le terrain des camping-cars. Il y a des toilettes, de l’eau, de l’herbe un peu, et de l’ombre à partir de 20 heures mais il y a un bistrot tout près,une bonne bière fraîche artisanale fera du bien. Je profite de la soirée ombragée et de la petite table de pique-nique quand un couple et leur fille s’approchent. Je vois bien que la petite a envie d’aller caresser Honoré. Elle se souvient cet hiver avoir vu un monsieur comme moi avec un âne comme Honoré passer devant son école. Les parents qui se souviennent que la petite avait raconté cette anecdote, plaisantent en pensant que ça ne peut pas être nous. Mais au fil de la conversation ils me disent habiter à Ry en Normandie. Je suis effectivement passé à Ry, j’ai même bivouaqué à côté de l’école début février. C’était effectivement Honoré et moi que la petite fille avait vu et notre passage l’avait marquée. Je suis touché qu’elle se soit souvenu de nous et devant l’improbabilité de notre rencontre ce soir en Bourgogne, nous posons pour une séance photo à destination de la maîtresse d’école et de l’Office de tourisme qui nous avait dépanné en eau. Aujourd’hui étape va être courte, une petite dizaine de kilomètres, mais avec deux grosses côtes. Je pars le plus tôt possible afin de profiter des températures les plus clémentes. Honoré est chiant, il est fatigué, moi aussi et je suis soulagé d’arriver chez Marion avant midi. Je ferai une entrée spéciale sur le séjour Mâconnais, parce que si j’ai fait un détour pour venir chez elle, c’est parce-que c’est à elle que j’ai vendu mes chèvres. Alors séquence émotion garantie, mais j’avais promis de venir, me voilà enfin.