La nuit a été moins fraiche que la précédente, mais j’étais en contrebas de la route qui mène de la Croix Morand au Mont-Dore. Le va-et-vient des voitures et des camions me rappelaient que je n’étais pas loin de la civilisation, contrairement à la nuit d’avant.


Je n’ai plus beaucoup d’eau et le prochain village, Pessade, est assez loin. Tant pi je prends quand même un café, essentiel à la mise en route matinale. Le café à peine englouti, mon voisin hirsute descend m’assurant avoir passé une bonne nuit près de la cascade du Queureuilh. Son périple est encore long à lui aussi, nous nous encourageons mutuellement.
Je démonte la tente et démarre ma journée avec pour premier objectif : trouver de l’eau. Il fait encore frais, je prends la pause pour un selfi près de la cascade et entame la montée qui devrait durer jusqu’à la Croix Morand. Il y a une auberge en haut du Col, j’y trouverais peut-être de l’eau. Je passe donc la cascade sans prendre le risque de me mouiller, passe devant un lieu qui aurait été bien plus agréable pour camper cette nuit près de la cascade du Rossignolet… et ça monte. Ça monte tellement que rapidement, j’ai chaud. Je fais une pause près de la ferme de la Tache pour poser le pantalon et enfiler un bermuda. La suite de la montée est peu agréable, une forêt de pins alignés au cordeau, tellement serrés que la lumière a du mal à passer malgré qu’il n’y a pas un nuage. Et en plus, les nombreux randonneurs qui empruntent ce parcours, pour y faire leurs besoins. Du coup, le sol est jonché d’une multitude de morceaux de papier hygiénique. Pour ma part, j’ai accroché à mon sac une petite pelle de jardinage pour enfants qui me sert à enterrer la grosse commission et laisser la nature aussi propre que possible. Et j’ai toujours un petit sac poubelle dans mon sac au cas où.
J’arrive enfin près du Col de la Croix Morand. Le vent m’oblige à remettre le sweat-shirt que j’avais posé plus tôt. Normalement, je dois tourner à gauche pour rejoindre Pessade, mais je décide de faire un détour pour faire un selfi, ce n’est pas tous les jours qu’on peut accéder à ce Col à pied, mais surtout pour faire le plein d’eau car je suis à sec. Je croise à nouveau trois jeunes filles, mais je ne sais pas si ce sont celles que j’avais croisé l’avant-veille à Besse et au lac Pavin. J’arrive à l’auberge du Col, fermée pour travaux. Ça commence à m’inquiéter, Pessade est loin.

Je fais ma photo, redescends et recroise les jeunes filles arrêtées sur le bord du chemin. « Vous vous êtes trompé de chemin ? » se moquent-elles en s’adressant à moi. « Non, je suis allé faire un selfi et chercher de l’eau, et vous, vous êtes perdues ? » et là je me rends compte qu’il manque une des filles qui était dans le buisson en train de faire ses besoins… « Bonne randonnée ! » m’exclamais-je les dispensant ainsi de me répondre. Je repris mon chemin rapidement afin de ne pas mettre plus mal à l’aise la fille du buisson. Plus loin, elles me rattrapent alors que je m’arrête à nouveau pour poser mon sweat. Je les laisse prendre de l’avance, picore quelques mûres, admire le paysage et profite du dénivelé moins agressif que celui d’hier.
Je passe près du Puy du Baladou, puis le Puy de la Védrine où là encore je traverse les estives à proximité des vaches.

Arrive à Pessade où le gîte pour randonneur est lui aussi fermé. J’y redouble les jeunes filles sans m’arrêter cette fois-ci, inquiet de ne pas avoir trouvé d’eau. Je dois aller jusqu’à Saulzet-le-Froid où j’espère trouver de quoi remplir les gourdes. Tout est fermé, même pas de cimetière en vue.

Les cimetières, pour les randonneurs, sont recherchés car tous sont ouverts dans la journée et un robinet d’eau potable est à disposition pour arroser les plantes qui ornent les tombes.

Désespéré, assoiffé, je fais un détour et me rends à l’Église. Souvent près des Églises il y a un robinet aussi. Mais pas ici. Il y a bien des bachasses (les bachasses sont des bacs en pierre, souvent alimentés par une source de montagne, parfois au réseau d’eau, qui servait autrefois à abreuver les animaux), mais les robinets ne coulent pas et on ne peut pas les ouvrir sans outil. A l’Église, je suis rejoint par les filles qui cherchent la même chose que moi. Elles sont parties de Saint Nectaire le même jour que je suis parti de Murol, mais ont évité le Mont-Dore en passant par le Puy de la Tache, duquel elles descendaient juste avant notre rencontre matinale. Fatigués, nous faisons une pause à l’ombre. Ça fait du bien malgré tout de poser les sacs et les chaussures. Les deux plus jeunes profitent de s’être allégées de leurs sacs pour aller explorer le village et y dénicher un point d’eau. Rapidement, joyeuses, elles reviennent nous annoncer qu’une bachasse coule et qu’il n’est pas noté que l’eau n’est pas potable. Nous reprenons les sacs à dos et nous hâtons d’aller faire le plein. S’il n’est pas noté que l’eau n’est pas potable, il n’est pas noté non plus qu’elle l’est ! Dans le réservoir, l’eau est claire, tellement claire d’ailleurs qu’on y voit distinctement des truites qui y nage. C’est sûr, c’est un bon témoin de la qualité de l’eau, si elle était polluée, les truites nageraient le ventre en l’air. De toute façon, la soif étant la plus forte, je décide de remplir une gourde et de continuer ma route. Les filles préfèrent prendre leur déjeuner ici tout proche sur une place ombragée. Elles sont équipées de pastilles pour traiter l’eau.

La déshydratation doit avoir des effets sur la lucidité, plus tard, en regardant la carte, je découvre qu’il y avait bien un cimentière à Saulzet-le-Froid, de l’autre côté du village. Ni les filles, ni moi n’avions trouvé cette information à ce moment-là.

Je reprends mon chemin et vide un bon quart de ma gourde avant le prochain hameau, Mareuge. Joli village de montagne vide de tout habitant, agréable, reposant, toujours pas de cimetière mais à nouveau une bachasse. Je décide de m’arrêter là pour pique-niquer. Ça fait plus d’une heure que j’ai commencé à boire l’eau du village précédent, je n’ai pas mal au ventre, j’ai toujours soif et ma voix est comme enrouée. Je commençais à me déshydrater. Il était temps que je trouve de l’eau. Vu le gout agréable de l’eau et l’absence de symptôme gastrique, je décide de remplir mes deux gourdes ici et de reprendre la route.

Entre Mareuge et le Vernais-Saint-Marguerite, le paysage est varié. J’aperçois le col de la Ventouse que j’avais emprunté il y a quelques années avec le club de moto, quand nous étions venus dans la région. Au Vernais il y a un cimetière, je pourrai refaire le plein des gourdes sans aucun doute de potabilité. La fatigue, la chaleur, la soif… La journée aura été compliquée. Je commence à chercher un endroit pour passer la nuit. Mais je ne suis dans une zone agricole, pas de forêt pour se cacher, les prés sont clôturés et des vaches paissent tranquillement. Je continue.

Je commence à voir des panneaux indiquant la proximité de Saint-Nectaire. Je regarde mon GPS, j’ai déjà fait plus de 25 km, je suis fatigué, pas certain d’être très lucide à cause de la déshydratation. Je suis tout près du Dolmen de Pineyre. Si j’avais eu les idées claires, je me serais arrêté ici pour la nuit. Mais tout à coup, je ne me sens pas en sécurité de passer la nuit ici, pris de vertige. Il est encore temps de rejoindre Saint-Nectaire pour aller dans un camping, au moins, si je ne me sens pas bien, je pourrais demander de l’aide. J’allume le téléphone, j’ai du réseau, Google Maps m’indique les campings à proximité. J’appelle, le gérant m’assure qu’il va m’attendre, mais pas trop longtemps. Pour lui c’est la fin de la saison, les journées sont longues et il ne compte pas faire d’heures supplémentaires. Je me dépêche. Mais c’était sans compter sur un dénivelé que je n’avais pas anticipé, celui du Puy de Châteauneuf. Non pas qu’il soit haut avec ces 904 m, mais c’est qu’il y a un dénivelé positif de 10 m sur une distance de 5 m. Bref, un mur. Ce n’est plus de la marche mais de l’escalade. Et arrivé en haut, un petit panneau indiquant « Prudence, descente délicate ». « Délicate ? Non mais t’es sérieux là » ruminais-je en me demandant si ce message est adressé à ceux qui viennent d’en fasse ou pour moi… Et en fait la descente est vraiment délicate, tellement même que je l’ai faite sur les fesses. Dommage de manquer de temps car j’aurais bien fait une pause aux grottes de Châteauneuf. Peut-être même que j’aurai pu y passer la nuit si j’avais été plus lucide. La vue sur Saint Nectaire est à couper le souffle, j’aperçois par moment le château de Murol.

Je suis à la fois content et déçu que ce soit déjà la fin. Mais je ne suis pas encore arrivé. Donc je descends aussi vite que possible, Saint-Nectaire est une ville toute en longueur, mais la pente est douce et je sais où je vais. J’arrive au camping pile à l’heure, essoufflé, j’ai du mal à parler. Le gérant m’accueil rapidement, me fait payer en liquide estimant qu’il me faisait déjà un « prix randonneur » et qu’il n’allait pas en plus, l’enregistrer dans sa comptabilité. Bref c’est un peu cher mais au moins je suis en sécurité, j’ai une douche à disposition, de l’eau est chaude et de l’eau potable, je peux laver mon linge et ma vaisselle. Le grand luxe pour un randonneur qui descend de la montagne. Retour brutal à la civilisation, au bord de la piscine du camping. Mais il n’y a plus que des retraités en camping-car, pas de cris d’enfants, je vais quand même pouvoir me reposer, j’ai parcouru plus de 35 km aujourd’hui.